Nous venions à peine d'avoir treize ans ;
Sur l'herbe haute, près de l'étang du Batou,
Nous échangions quelques baisers timides,
Pendant qu'au bistro, son père et le mien
S'employaient une fois encore à refaire le monde
En sirotant des Pastis 51 ou des Ricard ;
Tous deux travaillaient à la cartonnerie,
Nos familles ne roulaient pas sur l'or.
Annie avait de jolis petits seins,
- Qu'elle me laissait palper parfois,
Mais uniquement par dessus son chemisier -
Et une belle bouche bien dessinée.
Une fois, je me souviens lui avoir proposé
De s'enfuir avec moi pour toute une nuit,
Et même - pourquoi pas ? - de faire le tour du monde,
Elle avait tout de suite éclaté de rire, en me disant :
« Et de quoi vivrions-nous ? Y as-tu songé ? »
Non, je n'y avais pas du tout pensé, bien sûr,
Mais je la trouvais un peu trop réaliste
Et bien trop conformiste, pour tout dire.
Je lui écrivis quelquefois de tendres poèmes,
Tout remplis de passion et de douce folie,
Mais je les déchirais tous sans les lui donner,
Car elle n'eût sûrement pas vraiment compris
Que je voulusse l'inviter au pays de mes songes,
Là où je côtoyais mes fantômes et mes héros favoris,
Moi qui étais déjà mort bien trop souvent
Pour ne pas aimer furieusement la vie.
Annie et moi, nous étions encore des enfants,
Mais quand mes doigts effleuraient sa peau,
Quand je croisais son regard encore innocent,
Quand je tenais ses mains fraîches dans les miennes,
Je rêvais de l'emmener avec moi très, très loin,
Pour l'emprisonner tout le temps d'une nuit d'éternité.