Début des années soixante,
J'ai dix-huit ans.
Au siège de la banque,
Rue Grenette, dans la presqu'île,
Je manipule des chèques
Ou le plus souvent des traites,
J'écris sur de grands livres,
Un dossier par client, plus ou moins épais,
Et j'aligne des tas de chiffres
Dans des colonnes que j'additionne.
Ce n'est pas très passionnant,
Mais bien souvent je m'évade
Dans mes idées généreuses
De progrès social, de liberté
Et de fraternité des peuples.
Je milite pour la paix
En Algérie et pour le socialisme,
Je lis l'Huma et France Nouvelle,
Je vénère Picasso et Aragon,
Les camarades, le drapeau rouge,
Mais je ne néglige pas non plus
Les seins des petites dactylos,
Les Françoise, les Rosette,
Ni les lèvres un peu trop rouges
Des gentilles mécanos
Qui, toute la journée, assidûment,
Tapent et retapent sur le clavier
De leur machine un peu poussive.
J'ai dix-huit ans,
C'est tellement loin,
Mais il me revient
Des bons souvenirs
De parties de fous rires
Et de grandioses discussions
Sur l'avenir du monde,
Et je crois que c'était bien !