Mathilde me parla très souvent de son adolescence,
Elle se souvenait encore de ce livre interdit
Que depuis longtemps elle tenait à lire absolument,
Mais que son père lui avait confisqué un jour,
C'était un roman de Colette, « Le blé en herbe » ;
À cette époque, dans les années 50, il était inconvenant
Pour une jeune fille comme il faut d'avoir de pareilles lectures ;
Et pourtant, il n'y avait vraiment pas là, on doit le dire,
De quoi fouetter un chat ni émouvoir une « chatte »,
On se trouvait encore à cent lieues d' « Emmanuelle »
Ou de « L'anti-vierge », d'Emmanuelle Arsan.
Mathilde souriait tristement en se remémorant
Son digne père en train de lutiner vicieusement la bonne,
Une jeune Sénégalaise qu'il exploitait cyniquement ;
Elle les avait surpris plusieurs fois dans le vestibule,
Pendant que sa mère était à l'église pour faire ses dévotions ;
Son père ne prenait même pas la peine de cadenasser la porte,
Et il disait des grossièretés à la servante, la contraignant
À s'agenouiller sur le dallage, jupe retroussée,
Puis il venait derrière elle, continuant à l'insulter,
Et il se déboutonnait en hâte pour la pénétrer.
Le coeur de Mathilde battait très vite, elle avait peur
De se faire repérer, mais observait de loin
Ce couple étrange et mal assorti qui respirait bruyamment ;
Elle se demandait si la bonne y trouvait son compte,
Mais en doutait un peu, son père l'abandonnant
Aussitôt qu'il avait pris son égoïste plaisir.
Mathilde ensuite se caressait, mais bien trop novice,
N'y trouvait finalement qu'assez peu de satisfaction.
Et au pensionnat où elle passait le plus clair de son temps,
La surveillance était tellement stricte que les amours saphiques
Devaient hélas rester platoniques, ce qui la désolait ;
Les garçons, eux, faisaient partie d'un monde inconnu,
Probablement différent, mais qu'elle estimait assez effrayant.