Nadine se demandait bien à quoi elle pourrait désormais occuper tous ses week-ends.
Sa mère était décédée seulement la semaine précédente et, depuis deux années que celle-ci avait été admise comme pensionnaire dans cette modeste maison de retraite parce qu'elle ne pouvait plus rester toute seule chez elle, Nadine allait régulièrement lui rendre visite tous les samedis et tous les dimanches aussi. Sa mère lui parlait de moins en moins : elle ne s'intéressait vraiment plus à grand chose, elle semblait n'attendre que la mort, et maintenant sûrement qu'elle devait se sentir enfin bien soulagée, la pauvre femme.
Nadine était fille unique. Son père avait quitté ce monde alors qu'elle était encore adolescente, victime d'un accident de la route, un jour où il conduisait sa voiture en état d'ébriété.
Nadine était secrétaire dans un cabinet dentaire. Elle avait déjà passé le cap de la quarantaine et ne s'était jamais mariée ; elle avait bien eu quelques aventures, mais cela n'avait jamais duré très longtemps. Elle avait un caractère assez entier et ne supportait guère que l'on vînt la contredire.
Des amis, on ne pouvait pas dire qu'elle en avait beaucoup, non plus, à part sa vieille et bonne copine Mathilde qui faisait toujours ses quatre volontés et avec qui elle s'entendait plutôt bien. Mais hélas, Mathilde avait rencontré un homme, six mois plus tôt, et elle la voyait de moins en moins souvent ; Nadine se sentait donc très seule, et la mort de sa mère l'enfermait encore plus dans sa grande solitude. Elle aimait lire, fort heureusement, et décida de dévorer de gros romans régionalistes qui lui faisaient un peu oublier tous ses soucis.
Elle allait les acheter chez un libraire spécialisé en occasions qui savait la conseiller très gentiment. Cet homme un peu timide avait à peu près son âge. Ils sympathisèrent rapidement ; elle faisait des efforts pour se montrer plus agréable et dialoguait de plus en plus courtoisement avec lui.
Il se prénommait Hubert, et elle lui proposa bientôt de lui dire « tu », ce qui parut émouvoir le libraire.
Au bout d'un mois, il l'invita donc à dîner en sa compagnie dans un petit restaurant chinois où il se rendait fréquemment. La soirée se passa le mieux du monde, tous deux étaient ravis. Il la raccompagna à pied jusqu'à sa rue, et elle le pria de monter avec elle au troisième étage de l'immeuble, où elle occupait un coquet F2.
Hubert accepta, et elle lui offrit tout de suite une liqueur de poire. Ensuite, il voulut bien repartir, prétextant du courrier à terminer, mais elle l'en dissuada, lui prenant la main et l'attirant tout contre son corps. Leur baiser appuyé dura un long moment. L'homme commençait enfin à se dérider ; il comprit qu'elle souhaitait le garder pour toute la nuit, et n'y voyait pas vraiment d'objection. Apparemment, il n'avait quand même pas l'habitude de jouer les séducteurs, mais le désir charnel s'empara de lui.
Ils allèrent ensemble dans la chambre de Nadine ; elle se dévêtit entièrement, et il en fit tout autant, puis ils s'allongèrent sur le lit. Il avait envie d'elle et le lui fit savoir ; elle se montra tendre, câline, puis elle devint un peu plus audacieuse et prit carrément l'initiative. Ils firent l'amour avec une relative maladresse, mais aussi avec une certaine rage de se donner pour de bon l'un à l'autre.
Quand ils furent rassasiés, ils se tinrent bien serrés, puis se racontèrent leurs vies. Ils convinrent qu'elles se ressemblaient un petit peu, et qu'ils avaient gaspillé bien du temps à vivoter sans joie et sans projets. Ils se promirent alors de se revoir, afin de mieux se connaître, et si leur entente sur tous les plans se confirmait, ils pourraient peut-être envisager de cohabiter. Pour Nadine comme pour Hubert, une nouvelle vie débutait et rien n'était perdu.