Mina avait eu une enfance plutôt malheureuse. Elle n'avait encore que six ans, lorsque son père avait été tué dans un accident de chasse par un autre chasseur qui, en entendant bouger derrière des buissons épais, avait malencontreusement fait feu, croyant stupidement qu'il s'agissait d'un banal lapin de garenne.
Sa mère, qui était une femme sans personnalité et assez vulgaire, avait très rapidement fait son deuil, puis elle avait attiré chez eux un commis de ferme assez rustre et alcoolique, Marcel, lequel n'avait pas tardé, les soirs où il rentrait complètement ivre, à taper copieusement sur Mina ainsi que sur son frère cadet Raoul, et cela pour un oui ou un non. Et leur bécasse de mère laissait faire, se contentant de dire qu'un enfant, il fallait tout de même bien le corriger quand il se comportait mal.
Les années se passèrent ainsi, dans cette ambiance violente, et Mina se jurait que, dès qu'elle serait assez grande, elle partirait de cette maison où elle se sentait tellement seule et abandonnée.
Son frère, trop fragile des bronches, avait été placé dans une maison de repos, où son état n'avait fait que s'aggraver, hélas, et il fut emporté en six mois par une tuberculose rénale, à la veille de ses dix ans.
Mina, elle, allait maintenant sur ses treize ans, et entamait donc sa dernière année d'école communale ; elle comptait bien passer et réussir le certificat d'études, et puis aller travailler, pour gagner sa vie, dans un atelier de tissage situé dans le plus proche hameau.
Elle avait tout d'une vraie petite jeune fille, à présent. Ses seins avaient bien poussé et son pubis s'était ombré d'une légère toison. Les garçons de sa classe la trouvaient jolie et essayaient même de la peloter dans les coins, mais elle était toujours un peu sauvage et ne se laissait pas faire.
Marcel, lui aussi, avait remarqué ces changements physiques chez Mina, et la fraîcheur de la pré-adolescente l'attirait de plus en plus. Il y pensait très souvent, cherchant parfois à la surprendre en petite tenue, quand elle se lavait, le matin au saut du lit, avant de partir pour l'école.
La mère de Mina, trop lasse et résignée, n'osait pas s'opposer à ce qu'il tournât ainsi autour de sa fille : elle avait bien trop besoin de l'argent qu'il rapportait, pour rester à la maison, à flemmarder en écoutant la radio.
Mina était devenue méfiante, car elle savait très bien ce que Marcel voulait d'elle ; elle n'était pas naïve, et se promit que le jour où il tenterait pour de bon de la violer, elle l'égorgerait comme le porc qu'il était.
Marcel ne la frappait plus. Il était également moins souvent ivre que par le passé, et plus rien ne le motivait que son désir bestial de souiller ce corps tout neuf et encore innocent. Il lui fit alors des avances, qu'elle refusa systématiquement, sans trop faire de bruit, mais fermement.
Marcel insistait de plus en plus, lui promettant des récompenses pour un baiser volé ou pour une petite caresse anodine. Mina le remettait en place chaque fois, mais elle prit peur le jour où elle s'aperçut qu'il lui avait dérobé ses sous-vêtements dans la corbeille à linge, car elle comprit à ce moment qu'il n'hésiterait plus à vouloir aller toujours plus loin.
Elle en parla donc à son institutrice, qui fut révoltée et abasourdie, ne sachant rien auparavant de ce qui se passait de louche dans cette famille un peu spéciale.
L'institutrice se rendit dès le lendemain au poste de police et témoigna auprès de l'inspecteur Berthier de ce que lui avait appris la petite Mina. Berthier sembla sincèrement désolé, mais lui avoua son impuissance à intervenir, puisque Marcel n'avait jusqu'alors pas agressé l'adolescente autrement que par des paroles un peu osées.
L'institutrice, qui était célibataire et aimait bien Mina, décida alors, pour la sauver des manigances de ce « beau-père » aux intentions malhonnêtes, de l'accueillir quelque temps dans sa demeure, avec l'accord de la mère de Mina.
Marcel se trouva donc piégé ; il entra tout de suite dans une grande colère et il cogna sur sa concubine, la couvrant de bleus. La police, aussitôt informée, vint l'arrêter et le plaça en détention provisoire. Il était d'ailleurs en prison préventive depuis deux mois environ lorsqu'un matin, le gardien le retrouva inerte au pied du lit : il s'était étouffé avec ses draps qu'il avait noués autour de son cou.
Mina ne le pleura pas, naturellement. Elle ne revint pas non plus chez sa mère qui buvait plus que de raison.
L'institutrice s'occupa bien d'elle et lui permit de poursuivre ses études dans un internat voisin, d'où elle rentrait joyeusement tous les samedis.