Julie et Violette s'étaient connues, dès la classe de sixième, au petit collège de leur gros bourg de province.
Elles avaient tout de suite sympathisé, parce qu'elles avaient de nombreux centres d'intérêts en commun, dont, tout d'abord, tout ce qui concernait la littérature. Étant toutes deux amoureuses de la nature, elles avaient une vraie passion pour l'oeuvre de Jean Giono, en particulier pour les romans d'avant-guerre de l'écrivain de Manosque : Colline, Regain ou Un de Baumugnes.
Elles étaient toutes deux des filles d'ouvriers, et les livres n'étaient pourtant pas la préoccupation principale de leurs pères respectifs. Mais la mère de Julie, qui était secrétaire dans un cabinet médical, partageait les goûts de sa fille et lui avait fait découvrir aussi de grands poètes, notamment Guillaume Apollinaire et Louis Aragon, qu'elle considérait comme étant les meilleurs poètes du vingtième siècle. Elle aimait aussi Prévert et Cendrars, ainsi que la peinture de Renoir.
La mère de Violette, femme au foyer, parce qu'ayant deux autres enfants bien plus jeunes que Violette, était une personne beaucoup plus terre à terre et s'occupait davantage de mode et de bonne bouffe que de poésie, mais ce fut cependant avec plaisir qu'elle reçut chez elle celle qui était la meilleure amie de sa fille.
Elles prirent ainsi l'habitude de passer tous leurs week-ends l'une chez l'autre, tellement elles avaient du mal à se quitter, ne serait-ce qu'une seule journée.
Elles étaient vraiment inséparables, disait-on d'elles, mais personne ne semblait se rendre compte que c'était bien plus que de l'amitié qui existait entre elles.
Et pourtant, dès la fin de la classe de quatrième, Julie et Violette avaient admis qu'elles étaient attirées l'une vers l'autre ; au début, elles n'osaient pas trop le reconnaître, mais leurs gentils bisous devenaient de plus en plus tendres, et un jour, leurs lèvres se scellèrent enfin en un doux baiser interminable.
Elles s'avouèrent tout de suite leur amour et décidèrent de ne rien en dire à leurs parents avant d'avoir leurs seize ans. Elles devaient faire très attention à ne pas se trahir ni à éveiller les soupçons de personnes qui se seraient hâtées d'aller dévoiler leur beau secret.
Leur sexualité aussi s'éveillait, et comme elles couchaient dans la même chambre, elles s'aimèrent aussi charnellement, bien évidemment.
Pendant deux ans, elles réussirent à garder leur statut de « meilleures amies au monde », mais le jour où elles révélèrent à leurs parents qu'elles étaient en fait amoureuses l'une de l'autre, personne ne se récria ni ne s'étonna, parce qu'ils l'avaient tous deviné depuis assez longtemps.
Elles en furent très heureuses ; ainsi elles allaient pouvoir s'aimer au grand jour et préparer dans la sérénité leur avenir commun.