Je connaissais Laure depuis un an déjà, nous étions alors au début des années 1970, et j'approchais déjà de la trentaine.
À cette époque de ma vie, étant toujours célibataire, je passais la plupart de mes week-ends à Lyon, chez mon ami Pablo, le fils de réfugiés espagnols qui étaient arrivés en France après la fin de la guerre civile entre les républicains et les franquistes.
Pablo militait comme moi dans les organisations anarchistes et pacifistes, et nous nous retrouvions régulièrement avec quelques autres copains libertaires pour refaire le monde à notre idée.
Laure était venue plusieurs fois assister à nos réunions avec une autre jeune fille de son âge, Marie ; elles avaient dix-sept ans et allaient encore au lycée. J'étais le plus âgé de la petite bande, le seul à travailler avec Pablo, et elles me considéraient un peu comme un grand frère. Pablo avait cinq ans de moins que moi, et il avait une bonne copine, Emilie, qui était vraiment la crème des filles.
Souvent, après nos heures de militantisme, nous rentrions tous les quatre, Emilie et lui, ainsi que Laure et moi, dans son petit appartement, au cinquième sans ascenseur, dans une rue proche de la gare.
Nous préparions ensemble le repas du soir, tout en discutant avec fougue de la situation politique et en critiquant le système. Puis nous écoutions des trente-trois tours de Léo Ferré ou de Brassens, nos chanteurs préférés, ainsi que des chants anarchistes et révolutionnaires.
Pablo et Emilie allaient parfois dans leur chambre et ils se bécotaient sur le lit, tandis que Laure me distrayait un peu en me faisant part de ses visions personnelles de l'avenir, parfaitement utopiques. Elle était naïve, pleine d'illusions, mais je ne la démentais pas ; elle me paraissait si fragile que j'avais trop peur de la blesser si je contredisais ses extravagantes affirmations.
Laure venait d'un milieu petit-bourgeois, et cela se voyait nettement ; elle n'avait jamais connu les fins de mois difficiles ni le moindre problème social. Ses parents ne s'occupaient pas beaucoup d'elle, et, comme elle était fille unique, elle faisait à peu près tout ce qu'elle voulait.
Je la trouvais très belle. Elle était assez petite de taille, menue, avec de longs cheveux noirs très lisses qui cachaient à moitié son visage ; je l'imaginais toute nue dans mes bras, mais je n'avais pas encore osé lui dire combien elle me plaisait.
Un soir, assez fatiguée de sa journée, elle vint se pelotonner contre moi, et je me décidai enfin à l'embrasser tendrement ; sa bouche sentait bon la vanille ; je la serrai très fort et la désirai follement.
Elle me laissa déboutonner son chemisier pour caresser ses petits seins que nul soutien-gorge n'entravait, puis elle m'avoua qu'elle était vierge, mais qu'elle voulait bien se donner à moi. Je ne savais comment accueillir cet aveu si touchant, j'avais douze ans de plus qu'elle, et elle était encore mineure.
Je lui dis que je ne voulais surtout pas la brusquer, puis je m'allongeai à son côté sur un canapé, et je continuai à la couvrir de doux baisers. Je la caressai très doucement, et pourtant j'avais envie d'elle, mais je réussis l'exploit de passer la nuit entière avec elle sans même tenter de lui faire l'amour.
Elle en fut toute émue et me remercia d'avoir été aussi gentleman. Je n'étais pas peu fier d'avoir su résister à l'appel de mes sens. Je la revis encore une bonne dizaine de fois, je la caressai plus hardiment pour lui donner du plaisir, mais je ne lui pris pas son pucelage. Puis elle ne revint plus à nos réunions : ses parents avaient été informés, je ne sais comment, qu'elle fréquentait un groupe anarchiste, et l'avaient plus ou moins séquestrée, m'avait-on dit.
Je ne l'avais pas oubliée, mais je ne fis rien non plus pour essayer de la revoir. J'en eus quelques remords, mais je savais bien qu'elle n'était pas pour moi, trop de choses nous séparaient. Aurions-nous pu être heureux ?