Céline avait toujours été une enfant un peu fragile, timide et effacée. Quand son père mourut subitement d'un infarctus foudroyant, elle n'avait que neuf ans. Sa mère dut se résoudre à retrouver du travail pour les faire vivre, toutes les deux, et ce ne fut pas chose facile, car elle avait déjà la quarantaine, et les employeurs potentiels n'étaient guère envieux d'embaucher une femme de cet âge, qui n'avait ni diplôme ni vraie spécialité.
Finalement, elle put entrer comme serveuse au Café de la Place, pour remplacer la précédente serveuse qui avait suivi son époux, aide-comptable, dans l'Est de la France, où son entreprise s'était délocalisée.
Céline se retrouvait souvent toute seule dans l'appartement à la sortie de l'école, mais comme elle était une petite fille très raisonnable, elle faisait sagement ses devoirs et préparait ensuite le repas du soir en attendant patiemment le retour de sa maman.
Quand elle eut terminé son année de CM2, Céline savait qu'à la prochaine rentrée, elle irait forcément au collège. Sa mère décida qu'elle serait pensionnaire dans une institution privée, située à l'autre bout de la ville, et qu'elle ne reviendrait chez elle que le vendredi soir pour passer le week-end.
Céline n'était pas vraiment enchantée à cette perspective, mais elle se garda bien de protester ; elle comprenait bien que sa mère se sentirait ainsi plus rassurée de la savoir en sécurité dans ce collège privé qui avait assez bonne réputation.
Céline fit donc sa sixième, puis sa cinquième, dans cet établissement, sans avoir trop de problèmes ; elle était une bonne élève, et généralement, elle s'entendait bien avec ses camarades.
Mais ce fut bien autre chose l'année de sa quatrième - elle allait alors sur ses quatorze ans - où elle se heurta tout de suite à une fille très hautaine et aussi méchante, Maggie, qui se moquait d'elle à tout propos. Cette harpie était issue d'un milieu aisé et riait sottement des tenues vestimentaires un peu ringardes à ses yeux de Céline ; elle ne manquait pas de la bousculer quand elle le pouvait, de dire des choses cruelles sur son compte aux autres filles de la classe.
La pauvre Céline ne savait pas très bien se défendre et pleurait souvent, ce qui encourageait Maggie à se montrer de plus en plus sadique. Elle lui cachait ses affaires, et parfois le matin, Céline ne retrouvait plus ses chaussettes, ses sous-vêtements ou bien sa serviette de bain.
Maggie avait la réputation d'une coureuse de garçons et posait souvent à Céline des questions très osées qui embarrassaient beaucoup celle-ci. Elle voulut savoir si Céline avait déjà embrassé un gars avec la langue, et comme cela faisait rougir la petite, elle alla raconter aux autres que Céline était sûrement une sale gouine pour ne pas avoir encore connu un vrai baiser de mec. Naïve, Céline ignorait ce que signifiait le mot gouine, et elle interrogea à ce sujet une de ses amies (elle en avait deux ou trois, des fidèles). Brigitte lui expliqua que certains appelaient ainsi les filles homosexuelles, et que c'était là un mot très méprisant.
À partir de ce jour, Céline se rapprocha de la seule fille que l'on disait être homo dans le collège ; elle s'appelait Irène et avait un an de plus qu'elle. Elle lui parla longuement de ce qu'avait dit Maggie.
Irène n'était pas du genre à se laisser faire. Elle était grande, costaude et très franche ; elle promit à Céline qu'elle la protègerait de toutes celles qui cherchaient à l'embêter et que, si elles insistaient, elle leur montrerait qui elle était.
Comme par miracle, Maggie cessa très rapidement de l'importuner, préférant carrément l'ignorer ; il était évident qu'elle craignait plus que tout la colère d'Irène et évitait prudemment de se frotter à elle.
Céline remercia bientôt celle qui était venue à son secours de la plus jolie façon qui fût. Elle profita d'un tête à tête avec Irène dans une chambre où elles devaient faire ensemble la corvée de lessivage du sol, pour la laisser l'embrasser tendrement sur la bouche et découvrir ainsi ce que pouvait être un vrai baiser d'amour.